lundi 11 juillet 2011

Mémoires...

Chapître 4 : le choc


Septembre 1943, vous avez 12 ans ½, sauf  l’équivalent de 3 ou 4 semaines bien espacées dans trois écoles différentes et dans deux villes, vous n’avez aucune expérience de la vie scolaire.  Vos parents vous ont appris à apprendre et vous voguez libre et sans entraves sur les voies de l’acquisition du savoir.  Vous ne voulez rien faire ce jour-là?  Bravo! Vous ne faites RIEN.  Un beau jour, le médecin vous dit : « Tu peux aller à l’école à mi-temps ».  Vous êtes très heureux, enfin une vie normale.
L’École du Doux Parler Français, sise Carré St-Louis, vous ouvre ses portes et vous voilà en 5ième année, avec des jeunes un an plus jeunes que vous???  Votre arithmétique, vous a-t-on dit est trop faible pour être en 6ième.   Votre ego vient d’en prendre un coup.   Mis à part la foutue arithmétique, vous savez presque tout ce que les autres doivent apprendre maintenant.  Vous vous ennuyez, vous ne connaissez personne et, surtout, vous ignorez comment entrer en contact avec les autres, vous êtes un ours, un ermite, un « outsider ».
Mon bonheur d’enfin pouvoir aller à l’école s’en trouva amoindri.  Heureusement mes après-midi m’appartenaient;  je retrouvais les bons lunchs de ma grand-mère avec bonheur et je pouvais arpenter mes chères rues (sales et transversales auraient chanté Georges d’Or).  Après le frottement matinal aux autres, cette solitude dans la cohue urbaine me reposait, j’étais chez-nous.  L’année scolaire 43-44 se déroula somme toute assez bien et je pouvais passer en 6ième.
Été sans histoire, mais la rentrée nous réservait, à mes frères et à moi, une surprise de taille : ma mère nous annonça que nous serions pensionnaires chez les Frères de St-Gabriel à l’Orphelinat St-Arsène.  Toute ressemblance avec l’École du Doux Parler Français, comme le veut la formule consacrée, était purement accidentelle.  Le milieu était très dur et les plus vieux ou les plus forts dominaient les plus jeunes même à table où ils se servaient les premiers, les autres mangeaient…s’il en restait (moins dur que Dickens, quand même).  Au parloir ce dimanche-là, après une semaine de ce régime, j’ai solennellement avisé ma mère que je serais de retour avant elle chez grand-maman avec mes deux frères si elle ne nous sortait pas de là immédiatement.  Mon ton et nos mines ont dû être convaincants car nous sommes repartis avec une maman
 « en beau maudit », si j’ose dire.  Les Québécois utiliseraient une autre formule.
Quelques jours plus tard, mes frères et moi entrons toujours comme pensionnaires, au Jardin de l’Enfance St-Jacques des Sœurs de la Providence.  Alors situé rue De Montigny (maintenant boulevard de Maisonneuve) coin St-Denis, (l’Université du Québec à Montréal et la station de métro Berri-UQAM occupent maintenant l’emplacement).  Nous sommes tout près de chez grand-maman, je connais ce coin comme le fond de ma poche et je m’y sens bien.  Le plus vieux du groupe et, avec deux autres, le plus grand, les Sœurs m’utilisent rapidement pour surveiller les récréations, aider les plus jeunes et faire des courses chez les libraires (Beauchemin, Granger, Fides), proches de chez grand-maman où je ne manquais pas d’aller prendre un bon lunch avant de rentrer avec mes colis.  Rétrospectivement, le rôle et les responsabilités dont les Sœurs m’ont chargés, je crois, ont jeté la semence de mon orientation vers   les sciences humaines et, plus tard, la gestion de services et de personnel.
Vers la fin de l’année une épidémie d’oreillons (the mumps, pour mes amis anglo) s’abat sur les 120 des 125 pensionnaires.  Comme je suis parmi les 5 chanceux, avec les 4 autres, je suis mobilisé comme infirmier et répétiteur de leçons, même malade, il ne faut pas perdre son temps.  Peu après, pour les élèves de 6ième, une autre épidémie se déclare : les examens d’admission aux collèges classiques.  Nous les passons tous Brébeuf, Ste-Marie, St-Laurent, St-Viateur, Externat classique de Ste-Croix, André-Grasset, Collège de Montréal;  comme la plupart de mes collègues, je suis reçu partout,  Ste-Marie et Grasset me décernent une bourse.  Il faut choisir, Ste-Marie est à cinq minutes à pied de chez-nous, Grasset à 45 minutes de tramway.  Jésuites ou Sulpiciens?  Ma paroisse, Notre-Dame, est sulpicienne…ce sera Grasset.

 (À suivre...)

15 commentaires:

  1. Glad you do, Rosaria. Of course your memoirs were better written and more exotic, so to speak, but we have the same aim: allow our young ones to have a glimpse of what we were...and are.

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  2. Before I got to the next part of the text, I suspected your status as a recess monitor contributed to our vocation.

    I was the kid who climbed a tree at recess to get away from all the other little horrors. You would never have seen me.

    I am enjoying this immensely, too. I'm glad you've embarked on this chronicle.

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  3. You story has so many twists and turns, Paul. Mais, c'est très intéressant.

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  4. @Sledpress: the recess yard was all asphalt, you could not have climbed non-existant tree, furthermore the school was not co-ed so you would not have been there. HA!
    @Rob-bear: Merci de votre intérêt.

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  5. ‘la foutue arithmétique’ made me laugh.

    les plus vieux ou les plus forts dominaient les plus jeunes même à table où ils se servaient les premiers ...moins dur que Dickens, quand même.

    This, and other parts of your memoirs, are evidence, une fois encore, qu'une certaine richesse de l'ame may be favoured by une petite, medium ou même une grande, souffrance.

    La plupart de mes amis – not an absolute rule, of course! quelque fois il est le contraire - qui ont eu une vie completely heureuse, et deprived of any problem or difficulty, are a bit flat, ou des parfaits imbeciles, eccetera.

    A demain Paul. I am excited de vous voir face à face!

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  6. A domani Giovanni e molto grazie per gli ccmmentarii.

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  7. I notice I mistyped "our" for "your". I could not have been more unsuited to your vocation of course.

    My recess yard was all asphalt too, just did have a few trees at the edge, luckily. I split my knee open more times on that damn asphalt than I could count. I was scolded for bleeding. I guess it isn't ladylike.

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  8. See how far we have come, now both boys and girls can split knees and bleed...but boys must cry when they do otherwise they are labeled as tough and dangerous.

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  9. I was tough and dangerous, though I think I cried sometimes. Probably not over the knees. I was too busy mopping up the blood. My crime apparently was excess consumption of paper towels, I think the teacher was an early environmental activist?

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  10. Paul,

    I haven't had a moment when I felt up to reading French--and I do make the effort here. I'm sorry.

    Now, I'm feeling really guilty about it because I'm getting on a train in a few hours to go to a high school reunion where I will see my jr. high French teacher.

    I will go face the ghost of my teenage self for a few days and then start your story. Cheers!

    Your priest (the one who officiated at your wedding) was smart.

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  11. Yes Jenny, Father Locas, a Sulpician, was an outstanding philosopher.

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  12. "......Mis à part la foutue arithmétique........"

    It's always the damned arithmetic, the damned mathematics, which stands in the way of the would-be autodidact. Otherwise, one can get educate oneself a good education by oneself simply by reading, reading, reading, reading and reading.

    I still remember one of my English teachers saying to our class: "If only you guys (it was an all-boys school) would read, my job wouldn't be necessary." I think he was right.

    You sound as if you had a high IQ, since you were able to have your pick of which institution of higher learning you wanted to go to.

    I'm enjoying very much your memoirs. Say "Hi" from me to the Man of Roma when you meet.

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  13. @Philippe: I must humbly admit that I have a reasonable I.Q., but a powerful motor, without gaz, will get you nowhere.
    MoR and Flavia will have lunch here tomorrow and I will transfer your "Hi" to them.

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