Chapître 2: 12 années de repos (2ième partie)
Vers 1938 mon frère Pierre entra à l’école. J’en fus tellement jaloux que mes parents m’inscrivirent bientôt à la même école. Comme ma mère, ex-institutrice, m’avait montré à lire, à écrire et à compter et que mon père, quand même diplômé en pédagogie, m’avait donné des notions d’histoire et de géographie, les Sœurs m’acceptèrent en troisième année. Roméo, le benjamin, à compter de ce jour se réfugia sous une table jusqu’à notre retour. Une grippe mit fin à ma vie scolaire jusqu’en 1943. Par précaution, mes parents me retirèrent de l’école…et Roméo cessa de passer ses journées sous la table.
La vie semblait suivre un cours paisible. Pourtant, j’étais trop jeune pour le percevoir, des nuages se profilaient à l’horizon. Mon père écoutait beaucoup, sur les ondes courtes, les discours d’un monsieur toujours enragé, du moins je le voyais comme ça, dans un langage que je ne comprenais pas. Il l’appelait Hitler et papa semblait toujours inquiet après avoir entendu ce monsieur. Un jour, il posa une grande carte géographique au mur et commença à y mettre des punaises de diverses couleurs qu’il déplaçait fréquemment. J’ai compris, depuis, qu’il suivait la marche de la Wehrmacht à travers l’Europe et celle de l’armée italienne à travers la Grèce.
Tout près de nous, d’autres nuages se formaient sans que j’en sois conscient : mes parents s’isolaient de plus en plus dans leur chambre pour discuter. Mon père disparaissait pendant plusieurs jours de suite. J’ai eu connaissance de trois disputes : mon père voulait nous faire écouter la cérémonie de la Pâque orthodoxe diffusée depuis New York,( il était très croyant et allait à la messe catholique faute de mieux) , ma mère voulait que nous écoutions les jumelles Dionne qui chantaient à la radio de Radio-Canada. Ma mère gagna et mon père s’en fut écouté son émission chez une veuve grecque de la ville. Il est revenu quelques jours plus tard.
La deuxième dispute, je le comprends maintenant, porta sur une question tout aussi profonde : mon père, officier de réserve dans l’armée grecque, voulait retourner là-bas pour se mettre au service du pays auquel il n’avait jamais renoncé. Ma mère s’y opposa fortement et menaça même de le faire arrêter s’il tentait de mettre son projet à exécution. Il resta…mais quelque chose avait changé, il n’était plus le même et lui et maman ne se parlaient presque plus sauf nécessité.
Enfin, troisième accrochage majeur, ma mère refusa que mon père m’apprenne le grec sous prétexte que je devais me concentrer sur l’apprentissage du français et de l’anglais. J’avais alors 6 ou 7 ans l’âge auquel le père grec prend charge de l’éducation de ses garçons. Rétrospectivement, ce fut, je crois, le plus grave et le plus déterminant dans le long processus de rupture entre mes parents et entre lui et nous les enfants car il cessa de s’intéresser à nous.
Mon père partait tôt le matin pour son restaurant et revenait très tard le soir. Mas mère voyait ses amies qui n.étaient pas de la région, la bonne s’occupait de nous et je me réfugiais souvent chez Mme Jobin que j’avais baptisée « Grand-maman II ». Je m’ennuyais beaucoup de ma grand-mère maternelle que J’adorais et que je ne voyais pas souvent car elle vivait à Montréal. Mme Jobin avait toutes ses qualités, faisait d’aussi bons gâteaux et tartes et me recevait toujours à bras ouverts. Eva Jobin fut mon lien avec Chicoutimi et mon iniatrice à la façon de vivre de la région car mon père vivait pour son restaurant et se mêlait peu à la population et ma mère, pas du tout. Nous avions connu cette famille car les deux filles, Yvette et Mariette, nous gardaient et travaillaient, à l’occasion, comme bonne chez-nous. Je les aimais bien.
(À suivre...)