jeudi 30 septembre 2010

Entêtement

Une école pour Gémont





Le lac Gémont, dans les Laurentides entre Morin-Heights et Lac-des-Seize-Iles, aujourd’hui, est assez sauvage encore, imaginez-le autour de 1920.  Quelques colons courageusement déboisent, épierrent et tentent de cultiver les fameuses terres de roches de Claude-Henri Grignon (auteur bien connu au Québec).    Ils s’appellent Jean, Joseph, Baptiste.( Les noms sont faux, l'histoire est vraie et rappelle La Petite Poule d'Eau, de Gabrielle Roy).   Peu de ressources, beaucoup d’enfants; aller au village, Morin-Heights le plus proche, constitue une aventure héroïque.  Pas de chemin encore et, l’hiver, sans raquettes on ne va nulle part.
Les Baptiste, pourtant, s’en tirent mieux que les autres, le père est un bon bâtisseur et, bientôt, on fait appel à ses talents.  Il sait lire et compter, une rareté précieuse à l’époque.  Un beau jour, il descend au village à l’assemblée des commissaires d’école.  Sa demande est accueillie assez froidement, il habite trop loin et il faut un minimum de 9 enfants pour ouvrir une école; qu’il les trouve et l’on verra…mais on ne promet rien.
Notre homme remonte à cheval et rentre dans ses terres.  Il a 5 enfants en âge scolaire, ses voisins en ont bien 7 ou 8 autres…mais les voisins ne voient pas à quoi ça servirait de les envoyer à l’école d’autant qu’ils en ont besoin pour travailler la terre.  Joseph se dit qu’il l’aura son école dût-il la remplir de petits Joseph.
Quelques années plus tard, ses plus vieux, sa femme et lui leur ont appris ce qu’ils savaient, et 4 autres petits Joseph sont prêts.  Le bonhomme redescend au village avec sa bande et, à la stupéfaction générale, déclare : « Vous avez vos 9 élèves, je veux mon école ».  On consent à fournir l’institutrice, mais il devra fournir l’école, la chauffer et loger et nourrir la maîtresse.
Marché conclu et les 9 entrent à la nouvelle école construite sur les terres des Joseph.  La dernière institutrice fut une Joseph qui devint, par la suite, religieuse.  Le dernier Joseph ayant terminé sa 7ième année, l’école, faute d’élève, fut fermée au début des années 40 si je ne m’abuse.  Lors du développement du tourisme, les jeunes Joseph la convertirent en chalet d’été construit par Joseph Construction, entrepreneur général.
On peut encore voir l'école-chalet à l'emplacement de l'ancienne ferme, mais s'il reste encore 4 Joseph dans les environs, on n'en trouve aucun sur l'ancien domaine.  Cependant, là où se situait la maison des Jean, on trouve un Jean Construction limitée...faut croire qu'ils ont compris.