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Ce matin, grand émoi sur l’Olympe. Ouranos et Gaïa, père et mère de toute la population ont convoqué un grand conseil de famille. La situation doit être très grave; je dirais plus, je dirais même, gravissime. Contrariés de voir interrompre leurs ébats, tout ce beau monde se pointa à l’heure dite; on n’ose pas contrarier les grands patrons. Mercure a été on ne peut plus clair, des statuts seraient en péril en cas d’absence.
Les présences prises, Ouranos, caressant sa barbe, se leva et parla ainsi : « Mes enfants, l’heure est grave. Des échos inquiétants me parviennent du monde des mortels. Nous leur avons tout donné et ils se plaignent encore. Hélios, Phébé et Mercure, sans compter Vénus et Éros, m’apprennent qu’ils sont désabusés qu’ils s’ennuient et se dépriment. Pourtant la nourriture et les plaisirs ne leur manquent pas, ils ne souffrent ni ne peinent pour avoir le bien-être le plus total. Des enfants gâtés, je vous dis, et insatiables. Le plus inquiétant dans tout cela? Leur état dépressif les amène à se donner la mort avant que les Parques aient fini de dérouler l’écheveau de leur vie. Que faire? Avez-vous quelques suggestions?»
Un long silence suivit ce laïus. Ouranos commençait à tortiller sa barbe. Gaïa parla à son tour : «Allons mes enfants, n’ayez crainte, parlez, votre père, aujourd’hui, ne vous mangera pas, il l’aurait déjà fait, comme pour d’autres, mais si vous êtes là, c’est qu’il l’a décidé; alors parlez en toute confiance. Nous vous écoutons.»
Dionysos, un peu pompette, brisa la glace et mit un glaçon dans son verre avant de déclarer : «Leur vin manque de qualité. Donnons- leur un meilleur raisin, qu’ils boivent davantage et ils seront plus heureux.»
Déméter, pourpre, s’écria : «Quoi! Tu oses m’accuser de leur donner des raisins de mauvaise qualité, espèce d’ivrogne? Je vais te rouler dans les orties et tu verras qu’elles sont de qualité.»
Mercure agita ses ailes pour rafraîchir l’atmosphère. «Écoutez, dit-il, Hélios, Éole et Phébé, leurs observations pourraient nous éclairer.»
«J’ai remarqué, avança Hélios, une certaine lassitude des mortels quand je luis trop longtemps, mais que des nuages me cachent pendant quelques jours et ils sourient quand je réapparais.»
Éole d’ajouter : «J’ai aussi remarqué ce phénomène au cours de mes constants déplacements. D’ailleurs, ces drôles de pistolets sont tout aussi heureux de me voir arriver que de me voir partir, surtout si je souffle trop fort ou trop longtemps.»
«Quand je suis pleine, dit Phébé, les mortels semblent heureux et quand je suis nouvelle aussi. Si je me cache trop longtemps, ils m’appellent et sourient de me revoir.»
Vulcain, de sa voix tonnante, se hasarda à dire : «Souvent dans les orages, quand je forge la foudre, j’entends les mortels souhaiter le retour du beau temps mais quand il fait beau trop longtemps, ils souhaitent un orage pour les rafraîchir. Ils sont étranges, ne trouvez-vous pas?»
Zeus, silencieux jusque là, avança timidement : « En somme trop d’une bonne chose ou d’une mauvaise, produit le même effet chez les mortels, ils se lassent et se dépriment; comprenez-vous ça vous aussi mes collègues?»
Chronos lentement risqua : « Je crois que nous sommes devant un problème de durée et de constance. –Assueta vilescunt-, diront les Romains dans quelques millénaires. Il leur faut du changement et fréquemment. Les observations de nos amis nous le montrent clairement. Nous devons modifier l’ordre des choses. La stabilité du climat et l’abondance dont ils profitent lassent les mortels? Bien donnons- leur des fluctuations. Je suggère un cycle de chaud, de froid, d’abondance et de disette.»
Gaïa et Ouranos étonnés de ce qu’ils entendaient n’en croyaient pas leurs oreilles. On pouvait se lasser d’être bien? Alors là, cela dépassait l’entendement même d’un immortel. Après un long silence et avoir profondément sondé le regard de Gaïa, Ouranos se leva et, s’adressant à Chronos et à Éole, il prononça ces mots : «Dorénavant je veux que l’ordre des choses soient changé. Il devra y avoir des cycles de beau et mauvais temps, de chaleur et de froid, d’abondance et de disette. Ainsi les mortels ne se lasseront plus et pourront espérer l’embellie suite à la tempête.»
Les Saisons venaient de naître, les joies de l’été, la beauté de l’automne mais aussi la crainte de l’hiver et de ses rigueurs accompagnée de l’espoir du printemps annonciateur du retour de l’été. Chaque saison avec ses défis particuliers présentant une raison de combattre et de vivre pour voir la suivante. Les Olympiens venaient de sauver leur création.
Paul Costopoulos, samedi, 15 mai 201