mercredi 18 janvier 2012

Intemporel

Imaginez deux vieux qui se bercent l'un en face de l'autre...


Cric…crac,  cric…crac, les lattes du plancher scandent les va-et-vient des  berçantes des deux vieux.   Le plancher semble dire : « Hier…Demain », aujourd’hui, ils en jouissent, hier n’est plus…et demain, si incertain.  Comme le tic…tac d’une horloge, les craquements les emmitouflent dans un cocon ouaté où ils se sentent bien et unis dans une communication silencieuse et intense.  Après toutes ces années, ils se devinent, se sentent et la parole devient un peu superflue dans le train-train quotidien.
Elle, ses jointures la font bien souffrir un peu, mais ses doigts continuent à tricoter et glissent d’une maille à l’autre comme sur les Ave d’un chapelet.  Une maille, un souvenir, un sourire : le foulard de son jeune mari, sa chaude veste au motif nordique, la première layette, la petite robe de baptême, les mitaines, les bas chauds pour les bottes d’hiver;  même la catalogne du salon que seul M. le curé voyait et certains invités spéciaux… si peu nombreux d’ailleurs.  La famille et la ferme laissaient peu de temps pour les activités sociales.
Lui, ses dents peinaient bien un peu à retenir la pipe collée à ses lèvres, mais son mélange personnel  et secret sentait si bon et les volutes de fumée donnaient à ses pensées des formes dans lesquelles il se complaisait et se perdait en rêveries et souvenances sans fin et, sauf exception, heureuses : les « bons soirs » de fréquentation, quand le fanal était accroché au-dessus de la véranda, la grande demande, l’église, la première maison et la ferme.  Il y avait laissé son dos et ses jambes, mais quelles satisfactions de regarder les lieux, maintenant, et le fils successeur et fidèle à l’héritage familial.
Tous deux unis et heureux, hors du temps, témoins du passé, générateurs du présent et espérant, malgré tout, un demain; ils bercent leurs souvenirs et leurs amours en attendant… le temps qu’il leur reste.

Paul Costopoulos, mardi, 17 janvier 2012