Debout devant le chevalet garni d’une toile vierge, le peintre contemple le vide en taquinant son menton de l’extrémité de l’ente de son pinceau. Formes et couleurs se bousculent dans son cerveau en gestation. Lentement le projet prend forme, notre artiste n’est pas, cela se sent, un automatiste. Il a besoin, avant de donner le premier coup de pinceau, de voir l’œuvre dans sa tête.
Plus la scène se précise, plus l’angoisse l’envahit. Jamais il ne pourra élaborer ce bleu si intense, reproduire cette lumière dorée de l’hiver, lumière chaude et froide à la fois. Cet arbre dénudé aux formes un peu obscènes dans leur dépouillement constitue un défi insurmontable à ses yeux. Ces personnages anonymes sous leurs chauds vêtements, aux figures cachées derrière d’épais cache-nez, comment leur donner forme humaine sans trahir le froid qui les transit?
Page blanche de l’écrivain, toile blanche du peintre, même doute, même angoisse, même sueurs froides. L’artiste le sait, la production finie ne sera jamais celle qu’il avait entrevue. Pourtant, il se lance, trait après trait sa déception prend forme, son mécontentement, sa grogne s’amplifient. Cette croûte immonde ne vaut pas d’être vue. Il va la détruire…quand entre, dans l’atelier, un visiteur inattendu qui s’exclame : « Quelle beauté, quelle richesse de coloris, est-elle à vendre? »
Paul Costopoulos, mercredi, 19 janvier 2011