Ligne: Le plus court chemin entre deux poisons.
(Anonyme)
À l’abri d’une large feuille
de nénuphar, la truite surveille, à travers le prisme de l’eau, le pêcheur qui
la convoite. Le dieu Pan, passant par
là, avise la scène et se dit : « On peut faire quelque chose avec
ça! ». Aussitôt il crée un flux
magnétique porteur d’ondes télépathiques.
Un drôle de dialogue silencieux s’engage :
-Je t’ai fait quelque chose?,
demande la truite
-Qui parle?, demande le
pêcheur médusé ne voyant personne autour de lui.
-Voyons, ne fais pas
l’innocent; tu sais très bien que tu veux me tuer.
-Mais enfin je n’ai jamais
tué personne, moi; je l’ai peut-être
désiré, à l’occasion, mais je ne l’ai jamais fait. Je t’entends, pourtant, je ne te vois pas. Montre-toi que je sache envers qui j’aurais
des pensées homicides.
-Bon, je vais sortir de sous
mon parasol, mais range ta ligne d’abord.
-Parasol, parasol, je n’en
vois pas autour et puis le ciel est totalement couvert, pourquoi aurais-tu
besoin d’un parasol.
-Métaphore, mon cher,
métaphore. Vois-tu, devant toi, la
grosse feuille de nénuphar, n’a-t-elle pas la forme d’un parasol.
-Euh! Oui, si tu veux, serais-tu sous cette
feuille? Voyons, voyons, je n’ai
pourtant rien fumé ni bu ce matin.
-Range ton engin, tu
comprendras.
De mauvaise grâce, le pêcheur
dépose, sur la berge, l’objet de la méfiance de son invisible
interlocuteur. Tout de suite, une
magnifique et énorme truite arc-en-ciel sort de sous la verdure lacustre. L’homme, éberlué, n’en croit pas ses yeux…et
peut-être non plus ses oreilles.
-C’est toi qui me parle? Impossible, inouï; inouï, bon le mot est mal
choisi puisque je t’ai oui et que, des ouïes, tu en as de fort bien
développées.
-Je comprends ta surprise, je
suis toute aussi abasourdie, je n’ai jamais causé avec un humain. Tu vois, maintenant, pourquoi je t’ai demandé
de déposer ta gaule.
-La pêche et la chasse sont
de vieilles occupations humaines. Tuer
un poisson ou un animal ce n’est pas un meurtre, quand même.
-Pour toi, non, mais mets-toi
à ma place. Je mords à ton hameçon, je
t’entraîne sous l’eau et, avec mes amis, je te mange. Tu vois ça comment?
-Vue sous cet angle, ton
argumentation peut se tenir. Si je me
rends à ton point de vue, cependant, tu me condamnes au végétarisme, non?
Le dialogue n’amusait plus le
dieu. Il y mit fin, la truite s’enfuit
et l’homme, bredouille, s’en fut chez le poissonnier pour son souper.