lundi 16 août 2010

Fonctionnaire

Le rire sonore et généreux de l’Honorable Ephrem Philion, juge en chef de la Cour Juvénile de Montréal, emplissait son bureau en ce jour de fin janvier 1954.  Celui, plus discret, du substitut du Procureur Général, Me Marcel Trahan, lui faisait écho.  J’étais un peu déconcerté.  Pourtant l’entrevue semblait bien se dérouler et j’avais obtenu l’emploi.  Selon les mœurs de l’époque, j’avais une lettre de mon curé établissant mes  bonne foi et mœurs et une de mon député provincial, ministre de la justice de surcroît, me recommandant hautement sur  la foi des dires de mon aumônier scout.
J’avais posé une innocente question : « Outre mon cours classique, je n’ai aucune formation, est-ce un obstacle? », on ne m’avait pas encore interrogé sur ce sujet.  Après avoir bien rit, le bon juge me regarda droit dans les yeux : « Aux salaires qu’on paye, croyez-vous qu’on puisse sérieusement exiger un diplôme? », avait-il dit.  Donc, le 1er mars 1954 j’entrai, au mirifique salaire de 1800$ par année, au service de la reine es qualité de constable spécial assermenté de la Cour Juvénile de Montréal.
Nous étions un amalgame de semi -policier, officier de probation et enquêteur; nous avions pouvoir d’exécuter les mandats d’arrestation et, lors de nos enquêtes, le refus de nous répondre constituait un délit.  Les décisions des juges dans les cas de jeunes délinquants ou d’enfants exposés à des dangers moraux ou physiques reposaient largement sur nos rapports, sur papier et humains, avec le juge en cause.  La confiance envers nous jouait un grand rôle.  J’avais parfois un peu peur de mon pouvoir sur la vie des gens, à 23 ans, j’étais payé pour jouer au prophète  sans y être vraiment préparé.  J’espère ne pas avoir causé trop de dégats.
Dans ce temps là, pas de procès, ou très rarement, pas d’avocat sauf rarissimes exceptions.  Tous reconnaissaient les faits sans discuter.  Tout se passait dans le bureau du juge en présence de son greffier-audiencier, de l’officier chargé du dossier, de l’enfant et de ses parents quand le juge avait pris connaissance du dossier et de nos recommandations…généralement suivies et expliquées aux justiciables.
En ces temps plus simples, peut-être y eût-il, à l’occasion, quelques abus de pouvoir mais étaient-ils plus graves que les abus de procédures dont nous sommes aujourd’hui témoins?  Quant un jeune ou des parents qui se savent coupables de l’infraction qu’on leur reproche s’en tirent sur une technicalité ou sur une savante manœuvre d’un habile avocat, subissent-ils, à long terme, un préjudice, nonobstant l’apparence de justice faite?
Good old judge Nicholson illustrates how it was done.  After considering our report and our recommendations he would ask: ”Can I do what you ask, is it in the best interest of the kid?”  “Your Honor, I would not ask it if I thought otherwise”.  He would look over his spectacles and reach for his pen: “oh well, let’s establish a precedent!”