vendredi 1 juillet 2011

Mémoires...

Chapître 3 : la récréation achève


Le train quitte la gare à 7 :00 P.M. très exactement (aujourd’hui, on dirait à 19 heures).  À Larouche, il s’arrête…ne bouge plus jusqu’au lendemain matin???  Il redémarre, il roule un peu et s’immobilise à nouveau en pleine forêt.  Le chef de train, passant de wagon en wagon, nous apprend qu’un convoi de marchandise a déraillé la veille au soir et que nous devrons, à pied, contourner la scène de l’accident et rejoindre un autre train qui nous attend de l’autre côté.  Je ne sais pas quelle distance nous parcourons mais à travers bois et en enjambant les rails tordus et autres débris, mes jambes de 10 ans trouvent le chemin bien long.  Ma mère et mes deux jeunes frères, 7 et 5 ans, font face avec courage.  Avec tous les autres passagers, nous vaincons la forêt et les moustiques.Nous devions arriver à Montréal, à la gare Moreau, à 8 heures du matin, nous arrivons à 8 heures, mais du soir.
 Si j’ai bonne mémoire, nous prenons le tramway Ontario avec correspondance à la rue St-Laurent pour prendre le 55 jusqu’à la rue Craig (maintenant St-Antoine).  Une petite côte à monter jusqu’à la rue St-Jacques et nous sommes chez mes grands parents maternels.   Adélard et Marie-Louise Guilbeault occupent la fonction de concierge au 517 rue St-Laurent, un édifice de 5 étages, sans ascenceur.  Au rez-de-chaussée on trouve un restaurant grec et un barbier; le 1er est occupé par un architecte et un arpenteur géomètre, au second,  le parti de l’Unité National e d’Adrien Arcand (parti fasciste) occupetout l’étage.  Le troisième recèle  le logement du concierge et celui d’une dame Lalonde, veuve et rentière de son état.  Au quatrième, un grenier ramasse des vieilleries et leur poussière accumulées depuis peut-être un peu plus de cent ans.  La rue St-Jacques, c’est  la finance de l’époque, à la rue Craig commencele « Red Light », deux formes de prostitution dont l’une était légale.
Finies les bonnes, l’aisance relative et les gâteries de Chicoutimi, bonjour la pauvreté relative.  Mes frères retournent à l’école en septembre et ma mère trouve du travail à Canadair comme commis de bureau.  Mon oncle Henri, le frère de ma mère, relieur à The Gazette Printing Company, habite aussi chez ses parents dont il est le soutien financier, le concierge, en effet est logé et chauffé mais pas payé en argent.  Mon oncle, sous ses airs bourrus, nous aimera bien et sera, en quelque sorte, notre père substitut même s’il s’en défendra toujours.
Comme je n’ai rien à faire, je lis et je me promène.  Mes longues promenades m’amènent de par les rues et ruelles du Red Light où je vois les manèges des prostituées et de leurs protecteurs vers la rue Ste-Catherine avec ses magasins et son activité; du Mont Royal bucolique au  Griffintown avec ses durs à cuir toujours prêts à en découdre si le passant ne change pas de trottoir; à la Pointe St-Charles précédée de son terrifiant tunnel Wellington avec le bruit infernal des autos et des camions qui s’y engouffrent  à toute vitesse comme si les chauffeurs avaient hâte d’en sortir.
D’autres fois, j’accompagne mon grand-père au marché Bonsecours pour acheter du tabac en feuilles.  Grand-papa fut, jadis, cigarier avant d’être remplacé, en 1907, par une machine.  Il se fait un peu d’argent de poche en roulant des cigares pour les gens des bureaux de l’édifice dont il est le concierge.  Je l’accompagne aussi au marché St-Laurent pour les achats de provisions quand grand ‘maman ne se sent pas assez bien pour y aller elle-même.  Ces jours-là, nous prenons la rue St-Dominique plutôt que St-Laurent, peut-être parce qu’il n’y a pas de taverne sur cette rue là (mon aïeul est très porté sur la dive bouteille).  Pourtant d’autres tentations se présentent sur cette rue bordée de bordels dont les filles l’invitent à grands coups de « Chéri » et de « Entre, on va s’occuper du petit »; j’étais à peine pubère et je ne le savais pas car personne ne m’en parlait.
J’aimais aussi beaucoup flâner devant les bureaux du journal La Presse à lire les dernières nouvelles sur les grands panneaux peints que les préposés accrochaient devant l’édifice et qu’ils renouvelaient à toutes les demi-heures environ.  Un peu plus loin sur la rue St-Jacques la vitrine du Montreal Herald affichait une machine avec une immense roue qui imprimait, sous nos yeux, à la vitesse grand V, les dernières nouvelles au fur et à mesure de leur arrivée, une vraie magie.
Devant La Presse, un jour, une belle voiture sport décapotable s’arrête, un monsieur très chic me demande si je veux aller faire un tour d’auto.  Je suis bien tenté mais je lui dis que je dois d’abord demander la permission à ma grand’mère et je pars.  Quand je suis revenu…il était parti??? 
Nous étions au printemps 1943.  Il fut décidé que je reverrais le médecin.  Devant mes prouesses pédestres, le toubib s’avisa que peut-être, j’étais moins malade qu’on ne le croyait et prescrivit un essai scolaire à temps partiel pour septembre qui arrivait.
La récréation était finie.

4 commentaires:

  1. Lots of changes, Paul. And you survived!

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  2. So it seems and so did the others.

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  3. Wonderfully descriptive and evocative, Paul, even though my french is limited.

    I can picture you now - a quiet, observant and sensitive child on the verge of adulthood.

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  4. On the verge of adulthood and of a social shock that reverberates to this day. I'll expand on that in future chapters.

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