dimanche 13 février 2011

Monsieur André

 

  Diplomé en pédagogie de l’université de Patra ou d’Athènes, je ne sais trop, et recyclé en coq sur les cargos au long cours, M. André débarqua à Montréal en 1924. Comme il se doit, il se trouva un emploi de plongeur au New London, restaurant grec coin Notre-Dame et St-Laurent.

Bientôt, il se retrouva directeur-enseignant à l’école grecque Evangelismos coin Clark et Sherbrooke ouest. Il y maria une de ses institutrices, celle de français et d’anglais. Rapidement, en bon grec immigré à Montréal, la restauration l’attira. Il se fit un métier de remonter des restaurants en déclin. 1933 le trouve à Chicoutimi, avec un fils de deux ans (moi) et un autre en route. La famille Sampson, un nom grec tronqué, lui a confié la gestion du Café populaire, rue Racine, en face de l’hôtel Chicoutimi. Ni Paul Bocuse ni Michelin ne l’ont visité, encore moins évalué, pourtant le Café prenait du galon et bientôt tout Chicoutimi s’y retrouvaient pour le lunch et même pour le souper (le dîner auraient dit les français). Les réguliers ne manquaient pas de saluer M. André (Costopoulos était trop compliqué, il était M. André pour tout le monde, y compris les notables).

On y trouvait,donnant sur la rue Racine, la salle à manger et une salle à dîner à l’arrière avec une vaste fenêtre ouverte sur les activités du port et la rivière Saguenay. D’ailleurs, le port était une source non négligeable de clientèle. Outre les cargos battant tous les pavillons possibles apportant la bauxite et autres composantes de l’aluminium pour l'usine d'Arvida, deux fois par semaine de mai à septembre, les grands bateaux blancs de la Canada Steamship Line déversaient un flot de touristes américains. Ces derniers pendant les manœuvres d’accostage lançaient des sous aux flos (enfants dans le langage local) agglutinés sur le quai et qui se battaient littéralement pour les ramasser.

Nous étions trois, le fils du pâtissier grec (oh! Ses brioches aux raisins du mardi!), le fils d’un ingénieur de l’aluminium et moi, tous bilingues. Nous restions à l’écart de la mêlée. Bientôt, les premiers débarqués nous approchaient curieux et nous demandaient invariablement : «What, you don’t play with the others? » Évidemment nous répondions en anglais. Quand nous avions répondu aux questions, les dollars nous tombaient dans les poches. Je suis déjà remonté du quai avec une moisson de 10$, une somme énorme en 1938 ou 39, et pas de bleus ni de vêtements déchirés.

Nous ne manquions pas de diriger les touristes vers la rue Racine…et le Café populaire à la fin de « l’audience ». M. André, mon père, ne s’en montrait pas mécontent.

Paul Costopoulos, mardi, 8 février 2011