mercredi 22 décembre 2010

Un début

Jour 1 de 40 ans.


Franc, envahissant, tonitruant…et un peu déroutant, le rire du juge en chef de la Cour Juvénile de Montréal emplit le bureau où votre humble serviteur passait une entrevue de sélection. Le substitut du procureur général, présent à la procédure, esquissa un sourire un peu narquois. Jusque là, pourtant, tout baignait dans l’huile. J’avais l’expérience des jeunes, surtout en milieu défavorisé, mon aumônier scout m’avait donné une lettre attestant de mes bonne vie et mœurs et de mon engagement social; mon député, ministre du gouvernement au pouvoir, m’avait fourni une lettre vantant mes vertus civiques (j’avais voté aux dernières élections). Mon aumônier me connaissait, le député ne m’avait jamais vu mais, à l’époque, pas de lettre du député, surtout d’un député de l’Union Nationale, le parti au pouvoir, pas d’emploi dans la fonction publique.

L’hilarité du bon juge provenait d’une remarque qu’en toute honnêteté et naïveté j’avais faite. Quand il m’avait dit :«Vous êtes engagé, vous remplissez toutes les conditions, quand pouvez-vous commencé? », j’avais dit -Mais je n’ai aucun diplôme universitaire-, le magistrat, une foi son fou rire éteint avait rétorqué : « Costopoulos, pensez-vous qu’aux salaires qu’on paie nous puissions exiger des diplômes? » Donc, 2 semaines plus tard, le 3 mars 1954, je prêtais serment de fidélité à la Couronne et devenais constable spécial de la Cour Juvénile au salaire annuel astronomique de 1800$. Ce statut me permettais de mener des enquêtes, d’intervenir au tribunal, de porter plainte pour obstruction contre les gens qui refusaient de répondre à mes questions dans l’exercice de mes fonctions. Je profitais aussi d’un carnet mensuel de 99 tickets spéciaux pour les tramways et autobus de la ville de Montréal.

En retour de ces privilèges, je devais être à la disposition des juges de 8:00am au départ du dernier juge, vers 15 :00 normalement, du lundi au vendredi; les samedis, nous devions être disponibles de 8 :00 à 13:00. En dehors de ces heures, nous devions faire nos enquêtes et rédiger nos rapports et recommandations pour la disposition des cas. Nous devions aussi assurer le suivi des jeunes en période de probation et l’évolution de ceux référés en institution de rééducation ou famille d’accueil, une soixantaine de dossiers par mois bon an mal an.

Ce jour là, j’ignorais que j’entreprenais une carrière de 40 années au service des jeunes et de leur famille. Je raconterai peut-être un jour.